Tour des poètes 2024
De la série La Cinémate(c), 2021/2024
vidéo-performance 16:9 9’19’’
« Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a.
Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas » Jean Baudrillard
Et si tous mes sujets n’étaient que des simulations de fond ? S’interroge l’artiste, et sportif de haut niveau, Yassine Boussaadoun. Lors de l’épidémie de Covid 19, faute de pouvoir réaliser des performances dans l’espace public, il conçoit et réalise des « sports imaginaires ». Ces films courts reprennent l’esthétique, familière et divertissante, du sport-spectacle télévisuel. Générique, habillage graphique et sonore, bandeaux, logos des fédérations et codes couleurs, commentaires en voix off, tout y est, mais les actions loufoques qui se déploient à l’intérieur de ce dispositif bousculent les formes établies. Leurs noms annoncent la nature des performances : Marathon de coucou, Relais d’objets insolites, Tour des poètes, Championnat départemental d’éternuement.
Ces sports engagent les joueurs-compétiteurs dans la réalisation d’une série de gestes dont l’absurdité des règles d’exécution, des objectifs et du contexte d’évaluation exacerbe en chacun l’auto-contrôle, la frustration et font surgir le comique. Dans leur tentative de faire bien, de se dépasser en dépit des circonstances, une autre histoire se raconte, plus existentielle et intime. L’un de ces « sports imaginaires »a d’ailleurs été filmé sous une forme documentaire, en un principe similaire à celui de l’émission télévisuelle « Striptease » dont le concept était de « déshabiller les gens » en les révélant à travers leurs gestes quotidiens.
La mise en tension du corps est également au centre des actions effectuées par YassineBoussaadoun lorsqu’il performe. Avec sa grande et vigoureuse stature d’athlète, sa capacité élevée de concentration, sa maîtrise posturale et gestuelle, il s’est fait remarquer sur des scènes ouvertes dédiées à la performance, basculant avec une facilité déconcertante dans des simulations comportementalesfaisant de lui un personnage têtu et acharné transfiguré par l’effort, tour à tour inquiétant et pathétique. L’incongruité des situations mises en scène dans ses performances fait voir les individus comme les produits de contraintes socialesintériorisées, où la marge de la spontanéité et de l’impulsivité se rétrécit. D’après le sociologue Pierre Chambat, l’émulation sportive remplacerait la guerre sociale, transformantune pulsion inavouable comme la colère, ou le désir de révolte, en une activitésocialement valorisante. Yassine Boussaadoun semble vouloir approcher cette ambiguïté en évoquant cesformes de (dis)simulation. Il confronte avec humour des micro-récits d’émancipation à une approche rationnalisée du vivant, présenté commeune matière passive qu’il s’agirait de façonner. Lesperformances collectives qu’il orchestre avec la complicité de ses amis, etconfrères sportifs, font subtilement apparaître des préoccupations relatives à laréalité humaine et à l’environnement social. Elles sont aussi un portrait degroupe, le témoignage de ce qu’un esprit d’équipe et de camaraderie a permis à l’artisted’atteindre dans le cadre de ce projet de commande nationale.
Marguerite Pilven